Chevalier Ovize
J’ai remarqué depuis longtemps, souvent à mes dépends, qu’avec un cancer, ce qui est vrai un jour, deux jours, trois jours n'est soudainement plus vrai le jour suivant...
Je suis montée à Praz-Sur-Arly avec confiance et détermination. J'avais tout bien calé dans mes bagages sauf que mon estomac ne m’a pas suivi. Au premier resto venu il m’a lâchée. Plus tard je me suis rendue compte que le restaurant n’était pas en cause, bien que j'eusse légèrement craqué pour une omelette aux girolles et une pomme de terre emrobée d'un fromage chaud. Légèrement, puisque c’est mon JJ qui a fini le plat : des pics de douleur annonciateurs du pire commençaient à me lacérer le ventre. Notre première journée de montagne fut ainsi gâchée. Ma vigilance alimentaire des deux jours suivants, nos marches matinales, le repos total dans un site chlorophyllé à souhait, rien n’y firent, mes problèmes intestinaux s’installèrent et c’est vraiment dépitée que, rentrée sur Lyon, je pris de la morphine – Avec l’aval bien sûr de ma commandante en chef, le docteur Ray-Coquard - Il fallait à tout prix que je continuasse à manger : la qualité de mon sang en dépendait.
-Bon allez ! Je retourne au présent parce que j’y suis plus à l’aise qu'avec l’imparfait du subjonctif –
Nous sommes donc jeudi. Avec la morphine j’arrive de nouveau à manger un peu près normalement mais malheureusement elle n’est là que pour cacher le véritable problème : la dégradation de mon système digestif. Mes selles se font de plus en plus rares, pour ne pas dire inexistantes. Bien sûr, l’ascite s’en mêle se propageant de plus en plus dans mon ventre, poussant consciencieusement mes organes à l’inflammation. Tant est si bien que samedi matin n’y tenant plus, j’appelle le chevalier Ovize – Mon médecin traitant –
Je l’aime bien le docteur Ovize.
Régulièrement il reçoit de chez Léon l’actualisation de mon dossier et porte sur moi un regard différent. À la fois plus terre à terre et je dirais plus globale. Un regard simple fait de l'expérience du médecin de campagne. S’il était jardinier, le docteur Ovize, je suis convaincue qu’il jardinerait avec la lune, merveilleux appareil respiratoire de notre terre : il sèmerait et grefferait à la lune montante et en lune descendante il prendrait le temps de bouturer, tailler et marcotter. Sans oublier de ne rien faire lorsque la belle dame passe au périgée ou à l'apogée de son parcours rendant les plantes semées en ces périodes dangereuses soit étiolées et peu robustes, soit bien trop sensibles à la maladie.
Alors il m’est bien inutile de lui raconter mes misères : la seule vue de mon ventre tendu le renseigne. Après un examen minutieux de ma saturation respiratoire, ma tension artérielle et l’observation de mes dernières analyses de sang, il sait me calmer et me rassurer. Ma numération n’est pas mauvaise, mes reins fonctionnent bien. Il n’y a que l’albumine et le cholestérol qui échappent à la normalité. Il m’explique que l’ascite est grosse consommatrice de protéines et d’albumine et qu’il est très facile avec elle d’être dénutrie. Je lui parle de mon angoisse de ne pas être prise dans le protocole, mais chevalier Ovize - il est comme cela - traite les choses comme elles se présentent, dans l’ordre. Et ma foi, je crois qu’il a raison. Pour l’heure, il augmente mes doses de morphine, me prescrit des compléments alimentaires – Une bouteille d’avalée c’est 30 grammes de protéines et 600 calories de pris et par les temps qui courent c’est exactement ce dont j’ai besoin – Pour ce qui est de ma constipation, sérieux handicap pour la suite des évènements, je ne suis pas loin de l’occlusion mais c’est pas encore ça, alors ; « Au lieu de vous faire perdre votre temps aux urgences, je vais vous prescrire un lavement qui va vous soulager immédiatement. »
En faisant le point sur son ordonnance il y rajoute de la cortisone. « Ils ne vont pas aimer au CLB : la cortisone peut cacher une infection, mais vous la prenez jusqu’à lundi, cela va calmer vos intestins et il n'y aura aucune conséquence. » Je vous le disais : un véritable jardinier.
Voilà. Le lavement est fait, la cortisone est prise et c’est vrai : je suis soulagée.
Que c’est bon de ne plus avoir mal !
Que c'est bon de pouvoir s'allonger sur son lit sans crispation aucune.
Que c'est bon d'avoir tout un dimanche devant soi !